Entre le 15 avril et le 28 mai 2014, la Médiathèque départementale des Landes m'invite en résidence et me confie les rênes d'un atelier d'écriture pour les adolescents de St Vincent de Tyrosse.

A l'hiver 2021, on renouvelle l'expérience, cette fois avec une bande de Parentis et des écrans d'ordinateurs interposés

Le but est toujours le même: leur faire écrire un feuilleton policier. Avec un petit défis en plus: ce coup-ci, ce sera chacun chez soi...

Des ado entre 14 et 17 ans, cinq épisodes publiés sur cinq semaines, à lire ici en ligne ou à télécharger sur vos tablettes, ainsi que le journal de bord des ateliers.

L'imagination d'une bonne petite bande d'écrivains aux commandes...


Sébastien Gendron

Journal de bord #7 - mercredi 28 mai 2014


GOODBYE, KIDS !





Il en va des bonnes choses comme du reste. Elles ont une fin et c’est sûrement ça qui leurs donnent toutes leurs valeurs. Certains acceptent d’aller jusqu’au bout de l’expérience pour savoir comment tout va finir. D’autres préfèrent s’abstenir, renoncer, pour garder une gout d’inachevé, une manière comme une autre de prolonger l’événement. 
Si j’applique cette pensée toute personnelle à mon groupe d’auteurs en herbes, ça nous donne trois présents pour cette dernière séance. Eiliza immanquablement, Francisco et Matteo. Joshua est excusé pour cause de pont. Les autres se sont donc abstenus et je ne leur en veux pas.
La première chose qui m’est réclamée dès leur arrivée, c’est un cadavre exquis.
Alors on y va, et au bout de quatre tours de table, ça nous donne ce truc qui ressemble à dialogue de sourds version Beckett :



Les poulets font « cot-cot » !
Les vaches font « meuh-meuh »
Ca fait du bruit
Et chacun essaye de se faire comprendre, sauf que
J’aime le poulet !
Et le poulet se trouve dans la ferme d’oncle Mc Donald.
Pourquoi on parle pas de la vache ?
Parce que la vache est complètement folle
La vache fait du yaourt !
Elle fait le lait mais c’est pas elle qui fait le yaourt !
Mais si, avec le lait ! Bref, et le cheval il fait de la viande !
Non, la viande, c’est le boucher qui s’en occupe
Le cheval Spanghero ! Beurk !
Et le canard il fait « quoi » !
Oh ! Un éléphant rose qui vole à coté de la lune et qui miaule !
Vous dites vraiment n’importe quoi : ce texte n’a ni queue (de poisson), ni tête (de cochon) !



Bref, un bon défouloir juste avant de passer à notre épilogue dans lequel toute la vérité sur l’affaire Mike Anderson doit éclater. 


Au moment où on commence la rédaction, Christophe Van Veen, le journaliste de France Bleue Gascogne qui a couvert la toute première séance, débarque avec son micro. Il m’a appelé la veille pour savoir s’il pouvait venir conclure son sujet initial. Il promène donc son enregistreur autour de nous alors qu’on pose les bases du dernier chapitre. Puis, à la pause, il interviewe les trois rescapés de l’aventure pour recueillir leurs impressions. Je suis prié de quitter la pièce avant d’y revenir pour être, à mon tour, soumis à ses questions.



Le reste de la séance passe à la vitesse de l’éclair. L’épisode est un peu triste, un peu sombre, c’est normal, on l’avait décidé la semaine dernière. Et à nouveau se pose le problème suivant : que faire de Mike ? Est-ce qu’il se venge ? Est-ce qu’il survit ? Et que devient-il ?


On construit, on élabore et Eiliza dessine, illustre, nous représente en train de bosser ou bien storyboarde notre histoire.


Une fois qu’on a relu la copie, Mattéo pose la question qui aura sous tendue nos 7 ateliers : est-ce que cette histoire sortira un jour en livre ? Leur insistance sur ce thème de la valeur des écrits imprimés sur papier m’a surpris dès le premier jour. Nous pensions que mettre en place un atelier d’écriture numérique avec des adolescents était en parfaite adéquation avec les nouvelles technologies dominantes chez les jeunes. Mais c’était sans compter sur l’idée qu’ils se font du livre. Un livre, ce sont des pages, c’est un volume, c’est un poids, c’est une odeur, c’est concret. Le reste, le numérique, tout ça, c’est leur quotidien. L’exception, c’est le matériau. 


Voilà ce que j’aurais appris, entre autre, de cet atelier.

Nos gosses nous réclament des livres. Pas des liseuses.

Et ça me rassure : je ne suis pas passéiste. 
 Allez, goobye kids, et merci, du fond du cœur pour toutes ces heures grandement enrichissantes. Vous avez mené à bien une histoire dans laquelle vous n’avez jamais cherché à suivre la ligne manichéenne habituelle du roman policier. Vous avez tout compris. La vie, ce n’est pas le noir d’un coté, le blanc de l’autre, et entre les deux, un fossé. C’est tout à la fois. Bravo !



Sébastien Gendron


PS: Vous trouverez dans la colonne de droite, dans l'onglet "téléchargement", juste en dessous de l'épisode 6, un 7ème fichier epub à télécharger pour vos tablettes: l'intégral des épisodes en un seul volume, soit... "Un crime à Miami" le roman.

Journal de bord #6 - mercredi 21 mai 2014


DÉJÀ !!!



Oui, ça passe sacrément vite, six semaines d’atelier.  On en est tous conscient quand on se retrouve cet après midi pour écrire notre 5ème épisode. Eiliza, Francisco, Matteo, Nicolas et Joshua sont là. On avait annoncé le retour de Léa mais c’était une rumeur.

Cette séance est particulière – elles le sont toutes à leur manière – pour une bonne et simple raison : c’est la dernière… avant l’épilogue prévu la semaine prochaine.



Je leur explique donc deux choses :

1)    il faut qu’on conclue aujourd’hui la partie actuelle de l’histoire.

2)    Il faut qu’on pense à l’épilogue pour écrire ce dernier chapitre.

Et pour ce faire, il va falloir qu’on prenne une sérieuse décision en ce qui concerne le personnage de Mike, en fuite dans les marécages d’une ile des Bahamas. C’est bien sympa de lui avoir arraché une fesse, ça nous a bien fait rire, mais quid de son devenir ? Je leur laisse donc le choix entre trois possibilités et leurs conséquences sur l’épilogue à venir :

1)    le laisser s’échapper, donc le sauver, et là il y aura une question de « morale » derrière très intéressante pour l’écriture d’un polar : si l’on sauve cet assassin, c’est pour montrer que derrière, il y a pire que lui.

2)    le faire arrêter avant qu’il ne s’échappe : plus classique et donnant lieu à moins de retournements.

3)    le faire tuer : notamment par son collègue lancé à ses trousses, ce qui impliquerait là aussi que derrière, il y a quelque chose d’autre.

Je mets ça au vote et après maintes tergiversations, deux options sont choisies…

Vous voulez connaître les résultats ? Ben, lisez l’épisode 5 alors.



Allez, à la semaine prochaine, les nains !

PS: allez faire un tour sur la page "PRESSE" et vous trouverez le sujet réalisé par le journaliste de la semaine dernière sur notre atelier. Ça vaut le déplacement!


Journal de bord #5 - mercredi 14 mai 2014


CHAUD DEVANT !

Cette semaine, je me suis rendu compte d’une erreur dans mon programme. À l’origine de ce projet, j’avais prévu sept sessions reparties comme tel :
- sessions 1 : prise de contact et écriture de la trame d’un feuilleton en 5 épisodes
- session 2 à 6 : écriture des épisodes 1 à 5
- session 7 : relecture des 5 épisodes, corrections, et mise en ligne.


Tout le monde le sait : il n’est pas de meilleur programme que ceux qu’on ne respecte pas. Du coup, je m’aperçois qu’en ce qui concerne cet atelier, je n’ai nullement suivi mes propres recommandations et que depuis le début, je mets en ligne au fur et à mesure. Résultat des courses, quand je fais le compte, je me retrouve avec une session 7 qui n’a plus aucun intérêt.
Alors quand mes six abonnés du mercredi débarquent aujourd’hui à 13:30, j’ai trouvé la parade : « Les gars (je les ai averti depuis le début, je ne suis nullement sexiste mais quand je les interpelle, c’est toujours en disant « les gars »), on va suivre le programme, on va écrire notre histoire en 5 épisodes et pour la session finale, et ben on écrira… un épilogue ! Quelqu’un peut me dire ce que c’est qu’un épilogue ? » Trois doigt se lèvent sur six et Eiliza me dit : « C’est le truc où on raconte ce que les personnages deviennent quand tout est terminé. » Et ben voilà.
Mais pour l’instant, il faut pondre l’épisode 4. Je rappelle qu’on a un peu molli et que cet opus n’est pas du tout planifié. Donc, il faut commencer par décider des grandes lignes avant de se mettre au travail. Ca va vite. On a laissé Mike, le héros méchant, aux prises avec un requin lui fonçant dessus et la police lancée à ses trousses. Que faire du requin ? Quel type de blessure pour Mike ? Et Eva ? Et la police, est-ce qu’elle va retrouver Mike ?
Je ne vous cache pas qu’on passe beaucoup de temps sur la blessure de Mike avant de trouver la bonne. La consigne c’est « handicapante mais pas invalidante ». Le résultat nous fait bien marrer. Bon lancement pour la suite.


Paul n’est pas là, Joshua est revenu, le reste de l’équipe a fidélisé : Eiliza, Francisco, Matteo, Nicolas et Xavier. A la fin de la séance, une fois qu’on est tombé d’accord sur le point final du chapitre, je leur demande un dernier truc : pour la semaine prochaine, où l’on écrira donc le dernier épisode avant l’épilogue, il va falloir réfléchir à ce que vous voulez faire de Mike. Le sauver ou pas ? Une discussion commence immédiatement, séparant le club en deux camps : les partisans de la condamnation et ceux de la relaxe.
Hop ! Stop ! Réfléchissez-y pendant la semaine et on en reparle mercredi prochain.
Et maintenant, du vent !

Journal de bord #4 - mercredi 7 mai 2014


ET DE 3 !


Ma petite bande d’auteurs de polar en herbe débarque en ordre fractionné. Premier et en avance, Matteo prend place d’autorité à mes cotés. De retour parmi nous, Xavier arrive en second. Dans les cinq minutes qui suivent, le reste du bataillon entre à son tour : Eiliza (dont j’orthographie enfin correctement le prénom après quatre séances), Nicolas, Paul (pas de skate aujourd’hui ?) et un nouveau dans l’équipe : Francisco, 12 ans. Absences notables du jour : Léa et son esprit critique ; Joshua et son speed créatif.

 

Aujourd’hui, pas de temps pour un jeu littéraire d’introduction et à peine pour le panoramique de groupe. D’un, il faut expliquer à Francisco l’étendue du projet Miami ; de deux, Xavier a dentiste à 16 :00, Matteo, pala à 17:00 ; de trois, j’ai un train à Dax à 18:00 ; de quatre, un journaliste envoyé par le Conseil Général doit venir tourner un reportage avec interview de tout le monde, ainsi qu’un photographe ; et enfin cinq – et pas des moindres – on doit tricoter le chapitre 3 des aventures criminelles de Mike Anderson. 

Donc, une fois qu’on a éclairé Francisco sur les règles du jeu et qu’il a intégré le principe du cliffhanger, je passe derrière le clavier et je lance les hostilités.
Le moteur du groupe ne tarde pas à se mettre en route. Et, je le note, avec encore plus de motivation que les fois précédentes. Certainement parce que pour certains d’entre eux, les réflexes sont bien acquis. Toujours aussi calme, Matteo souffle ses propositions au milieu des idées criardes de ses cama rades. Francisco n’est pas en reste. Je les pousse dans leurs retranchements, les forces à finir de décrire une situation avant de passer à la suivante. Exemple probant d’une précipitation très compréhensible : quand deux hommes sont interpellés par un troisième qu’ils n’ont pas vu, ils ne répondent pas en lui tournant le dos mais font volte-face pour savoir qui leur parle. J’endigue un peu leur excitation, c’est vrai, mais je n’oublie pas l’aspect pédagogique de mon atelier : on s’amuse mais dans les règles d’une narration exigeante. Et puis je reste très vigilant sur le champ lexical. Depuis le début, je me rends compte que ces gamins possèdent un vocabulaire bien plus étendu qu’ils ne l’imaginent. A force de lire, de regarder la télé, d’écouter les adultes, ils ont un vrai dico dans la tête mais n’en utilise qu’un trop petit volume. Je les oblige donc à me fournir des expressions, des synonymes, des prépositions qu’ils ont enregistré mais n’utilisent que trop rarement. Souvent, je leur dis qu’il n’y a rien de plus moche dans un texte que les répétitions. Alors, on part en cordée à la recherche du bon mot. Pour détendre l’atmosphère, de temps à autre, je leur autorise une bonne grossièreté au détour d’un dialogue.
Après tout, on est dans le polar et puis dans la vraie vie, personne ne s’exprime comme Mme de Lafayette – et certainement pas des flics.
Entre les pauses régulières, les interventions du journaliste, les trouvailles drolatiques, on arrive à mettre un point final à cet épisode 3 dont le rebondissement final, tout classique soit-il, est une bonne trouvaille.
Quand l’heure sonne, l’effectif est réduit de deux auteurs. Je refais lecture de notre chapitre, je leur demande s’ils sont contents d’eux, ils le sont et ils ont raison. On tient bien le rythme. Alors, comme tous les mercredi, je leur lance ma réplique préférée :
    — Allez, dégagez maintenant, bande de nains !
Ils se marrent et filent. Les ados, c’est quand même vachement bien. 


Sébastien Gendron






Journal de bord # 3ème jour: mercredi 29 avril 2014


DE NOUVELLES MAINS...

Après une bonne semaine de vacances, nous reprenons le cours de nos aventures. Cet après midi, à la bibliothèque de St Vincent, ils débarquent à cinq. Manquent à l’appel : Xavier et Paul. Paul a cédé à la tentation d’une journée de skate. Xavier, je ne sais pas. Joshua est là mais il a tennis et doit quitter le bateau à 16:45. Eillisa est présente, très en forme. Trois nouveaux se sont greffés à l’atelier : Léa – 12 ans et demi, me précise-t-elle fièrement – Mattéo, qui doit lui aussi quitté la place avant 17:00, et Nicolas.



Dehors, une petite bruine crachote par intermittence. Je préviens Paul, l’animateur du jour, que je ferais un break d’un quart d’heure toutes les quarante cinq minutes. Avant d'attaquer, on fait la désormais habituelle photo de groupe. Cette fois-ci, Joshua accepte de ne pas me tourner le dos mais il fait la grimace. Résultat, il se retrouve dans la jointure de deux images rassemblées par le panoramique et le voici grimaçant et... déformé.



Je sors le paperboard et je résume l’histoire telle que nous en avons décidé au cours de la première séance. Personnages, lieux de l’action, meurtre, requins et… le fameux cliffhanger. Léa a du mal avec ce concept. Eillisa le lui explique et pour exemplifier, je décide de leur lire le premier épisode de mon propre feuilleton que je mettrais en ligne après le leur. Alors que je commence la lecture, je me rends compte que mon histoire n’est pas du tout de leur âge : un homme qui suit une femme jusqu’à son hôtel ; du dehors, il l’observe et à la fin, il pénètre dans la chambre pour la tuer. Hmmm… Donc, je résume rapidement les évènements et j’en arrive à mon cliffhanger. Visiblement, Léa pige.



Avant de se lancer, je propose, comme pour le premier atelier, de nous détendre les poignets en faisant un petit cadavre exquis. « Un cadavre quoi ? » me lance Léa. Joshua piaffe à coté de moi. Je lui laisse donc expliquer les règles de ce jeu littéraire avant de saisir une page vierge. Deux tours de table plus tard, je me retrouve avec une scène de ménage entre un rugbyman et sa femme. La bataille du couple se rééquilibre au fur et à mesure de la rédaction mais je suis obligé d’intervenir en fin de parcours pour expliquer aux aods qu’écrire une histoire, c’est d’abord et avant tout faire attention à l’expression si on ne veut pas faire fuir le lecteur.

Après retouches donc, ça nous donne ça :




Un rugbyman grand, fort, puissant, avait une femme.
Sa femme dit : « Non, tu ne vas pas avec tes copains,
tu restes ici, tu dois faire le ménage.
tu as mis plein de miettes sur la table, porc !
Quand je dis non, c’est non. Donc tu restes là pour m’aider ! »
Le rugbyman fronça les sourcils, pleura mais sa femme lui mit l’aspirateur entre les mains.
Mais il ne se laissa pas faire, il saisit un ballon et le shoota dans la figure de sa femme.

Elle pleura, puis pris l’aspirateur et le lança dans la tête de son mari.
Le mari, vénére, lui balança la carafe d’eau à la face.
La femme lui jeta les couverts et lui dit : « Je m’en vais chez une amie ! »
Le rugbyman tomba alors à genoux et lui dit : « Excuse-moi, je t’aime » ce à quoi sa femme répondit : « Prouve-le moi en passant l’aspirateur sans faire de commentaire. »



Bien. Je ne sais pas si notre « Crime à Miami » n’est pas en train d’infuser dans leurs esprits. On va vite le savoir. Après une pause et une éclaircie météorologique, on se met au boulot. Pour Léa, Mattéo et Nicolas, c’est d’abord un peu compliqué de rester dans le cadre déjà décidé précédemment. Mais ils finissent par s’y faire et découvrent qu’il y a pas mal de choses à en tirer. Nous avions laissé Mike et Eva découvrant, après le passage d’un ouragan, le corps de leur ami John dans leur piscine. Le problème, c’est que Mike a pourtant pris soin d’aller balancer son cadavre dans l’océan, à proximité des requins…

A partir de là, ça commence à fuser et il me faut contenir l’affaire jusqu’à épuisement. Cet épisode doit mettre en scène les interrogatoires de Mike et d’Eva, et surtout, dévoiler qui est réellement Mike. Donc peu d’action, beaucoup de bla-bla. De temps à autre, Mattéo, le plus discret de la bande, tente quelques propositions au milieu de brouhaha, et fait souvent mouche. Léa, elle, fait montre d’un esprit critique plutôt affuté, nous reprenant sur des constructions de phrases qui ne lui plaisent pas. Quant à Nicolas, il nous regarde d’abord avec de grands yeux avant de se prendre au jeu. Rapidement, les feuilles mises à leur disposition pour s’exprimer se remplissent de dessins. Si ça continue comme ça, je me dis qu’on va finir avec une BD.
 

Voilà, on met le point final à ce chapitre et je relis. A la fin, Léa tique. « Pourquoi on continue pas ? » me lance-t-elle, déçue. Je lui explique alors que ça y est, on a écrit la fin du chapitre, avec son cliffhanger qui va donner envie au lecteur de lire le prochain épisode et qu’on doit s’en tenir là. Mais apparemment, ça ne passe pas bien. Amusant, non ? Même en tant qu’auteur de l’histoire, elle est déjà impatiente de connaître la suite…



A 17:30, je clos la séance avec un nouvel épisode au compteur.

Journal de bord # 2ème jour: mercredi 16 avril 2014



GO !



Premier jour de rédaction, premier épisode. Eilliza, Xavier, Paul et Joshua arrivent à l’heure, avec Audrey, leur animatrice. Le temps est encore plus beau qu’hier et je me dis qu’il va falloir aménager des moments de pause plus longs et plus réguliers : le skate parc voisin sent la concurrence déloyale. Mais la bande semble animée de la même verve qu’hier. On enclenche les hostilités sans tarder.



Je décide de prendre les commandes du clavier et de jouer les dactylos pour faire avancer l’écriture. Nous avons 4 heures pour sortir le premier opus de notre histoire, autant leur économiser le dur labeur de la rédaction. Il va juste falloir leur faire sortir des phrases. Je replante le décor décidé la veille : une villa sur le bord de mer de Miami – où à Miami ? nous n’avons pas décidé, mais la ville du vice est un lieux imaginaire et personne n’ira vérifier – deux copains d’enfance qui vont solder un lourd contentieux et une suite de péripéties amenant à une conclusion en cliffhanger donc.




C’est parti.

Un salon de nuit, deux hommes, une arme à feu. La première scène est pondue en deux temps trois mouvements. Une balle, du sang. Le petit quatuor me sort quelques phrases pas piquées des hannetons – il faudra que je m’intéresse de près à l’origine de cette expression. Eilliza, notamment, conclu ce brillant début par un magnifique « Les larmes montèrent aux yeux de Mike, pleins de haine et de honte. »



Pause. Ils s’envolent vers l’extérieur, Paul fait des trucs casse-gueules avec son skate, ça hurle, ça court, ça se défoule. De mon coté, je sors une chaise à l’extérieur et je poursuis la construction du blog sur lequel les épisodes et ce journal de bord seront consignés tout au long de la résidence.



Retour autour de la table. J’ai besoin de prendre des photos pour agrémenter le site. Joshua se déclare depuis hier « phobique des photos ». Je tente un panoramique dans lequel il me tourne obstinément le dos. One shot, je n’ai aucune raison d’insister. Juste choper l’instant présent tel qu’il est. Trois demi-sourires – dont celui d’Eilliza complétement déformé par le mouvement de l’appareil photo – un dos, à gauche cadre Sandrine, la bibliothécaire, à droite cadre, Audrey, l’animatrice très participative aujourd’hui. Ok !





Les trois heures suivantes voient se construire l’histoire avec un amollissement général très palpable vers la fin. Je fais mon possible pour que tout ça reste ludique, même la fatigue. Et ça marche. A 17 :00, nous avons notre premier épisode tel qu’il a été pensé la veille. On le relit, on discute des deux ou trois phrases un peu de guingois – Joshua refuse catégoriquement l’expression « au pire » et lui préfère « sinon », je ne discute pas – et c’est réglé.



Dernière missions avant le fin : trouver un titre à l’histoire. Personnellement, je pense à « Ouragan » depuis hier. Mais je me suis promis d’intervenir le moins possible dans leur choix. Eilliza voit un truc très romantique du genre « Une histoire de cœur » sous prétexte qu’il y a une affaire d’amour derrière l’intrigue. Les garçons font bloc pour réfuter l’idée mais n’ont pas mieux à proposer. Je place quand même « Ouragan» histoire qu’il puisse y avoir un outsider. Paul pige : l’ouragan, c’est ce qui va faire dérailler le plan du héros. Eilliza revient à la charge avec « Un cœur en sang ». Classe, s’exclame Paul. Mais Joshua nous grille la priorité : «  Crime à Miami ». Succès immédiat.



Eilliza, Xavier, Paul et Joshua repartent en laissant en plan les pages sur lesquelles ils ont griffonnés des dessins, des mots, des bouts de phrases, bref, de la matière. Seule interrogation : seront-ils là dans quinze jours ou y aura-t-il un tout autre groupe qui reprendra les rênes de cette histoire ? Joshua m’a déjà averti qu’à la rentrée, le mercredi, il aurait tennis à 16 :00. J’ai négocié avec lui qu’il soit présent au moins en début de séance. Ou comment faire en sorte que le sport cesse d’être un concurrent déloyal à la culture.




Journal de bord # 1er jour: mardi 15 avril 2014


PRISE DE CONTACT

Ils sont quatre à débouler dans le calme de la petite bibliothèque Gabriel Fauthoux de St Vincent de Tyrosse. Il fait doux, le soleil tape sur les vélux et je me dis que ces adolescents préféreraient peut-être, à cette heure, faire du skate que de plancher pendant quatre heures sur le projet que je m'apprête à leur proposer: écrire un feuilleton policier à plusieurs mains, en cinq épisodes pendant cinq semaines.

Erreur de jugement. Après un rapide tour de table, il apparait qu'Eilliza, Xavier, Paul et Joshua se voient à peu près tous comme des écrivains en herbe. Je veux voir ça de plus près et je leur demande de me rédiger, sur un temps donné, un petit texte. Aucun thème imposé, juste ce qui leur passe par la tête. Vingt minutes plus tard, Paul et Joshua me lisent chacun une micro histoire qui commence par "Il était une fois" quand Eilliza et Xavier narrent un souvenir de vacances. Aurait-on là deux groupes distincts?
Pour le savoir, je lance un second jeu. Puisque le but de cet atelier est d'écrire la même histoire à plusieurs mains, tentons un cadavre exquis ouvert - le premier participant écrit une première phrase et la passe à son voisin qui écrit la suite, qui la passe à son voisin, etc. Je décide d'entrer dans la boucle juste pour compliquer un peu le texte. Et, au bout de trois tours, on arrive à ce texte surréaliste - les retours à la ligne désignent les changements successifs d'auteurs :



"Hier, Pierre est parti acheter des cacahuètes et il a rencontré Jules.
Il partagea les cacahuètes avec Jules.
Mais Jules n'était pas d'accord donc, il lui vola les cacahuètes
et Pierre le poursuivit jusqu'à chez lui.
Mais, en arrivant, il trouva la porte fermée et décida d'entrer par la fenêtre.
A l'intérieur, il trouva plein de cacahuètes tombées sur le sol.
Ca signifiait que Jules aimait les cacahuètes.
Normal, puisqu'au début, il devait les partager avec Jules, et soudain
Il aperçut Pierre qui rentrait chez lui et
Se rendit compte qu'il était accompagné d'un étrange lapin bleu qui tenait entre ses pattes avant un révolver.
Le lapin lui braqua le révolver dessus. Il sentait sa dernière heure arriver.
Soudain, un homme plaqua Pierre pour le protéger
Et la planète explosa, plus aucune vie
Selon les ressources extraterrestres.
Mais quelque part dans une lointaine galaxie, il y avait une planète toute petite nommée Bunny Star. C'est sur cette planète qu'en fin de journée, le vaisseau du lapin bleu atterrit, de retour de sa mission, avec plein de cacahuètes dans son coffre."


Éclat de rire généralisé, pause skate board de dix minutes et retour à la table de travail.
Maintenant, il s’agit de décider d'une histoire à raconter et de mettre en place le plan de nos cinq épisodes. On est là pour écrire du polar et le petit groupe est solidement avisé des codes du genre. Les idées se mettent à fuser sans même que j'allume la mèche. Désolé pour les Landes, mais il est immédiatement décidé que l'intrigue se déroulera à Miami (après avoir successivement éliminé Chicago, Los Angeles, Brooklyn et Londres - au grand désespoir d’Eilliza). L’intrigue tient en très peu de mots: un homme tue son meilleur ami pour des histoires de cœur et tente de faire disparaitre son cadavre – vous comprendrez qu'à cette heure, je ne peux pas en dire davantage sans risquer de dévoiler les rebondissements de l’histoire. On enchaine sur le plan des trois premiers épisodes et je leur demande de trouver pour chacun d’entre eux une fin qui donnera envie au lecteur de lire la suite – ce qu’en terme de narration, on appelle le cliffhanger, soit littéralement « l’homme accroché à la falaise », c’est-à-dire ce personnage qu’on laisse en position dangereuse avant de clore le chapitre. Ils pigent très vite l’intérêt de cette technique et la fin de la séance est occupée par la recherche de toutes sortes de misères à faire subir aux protagonistes de notre histoire.
Je les chasse à 17:30 en leur demandant de laisser tout ça infuser jusqu’à demain.
Parce que demain, on se jette dans le bain et on rédige le premier épisode…